HOMMAGE A RAYMOND ROUSSEL … Intervention ELISABETH MORCELLET A la 93ème DIVISION prés de la TOMBE DE SUZY …
MON HISTOIRE AVEC RAYMOND R.
ESQUISSES DE LECTURES Je n’ai pas lu entièrement l’œuvre, trop dense, trop forte, de Raymond Roussel, Je l’ai abordée l’été, en vacances. La première fois, j’étais à Nice. Je vécus là, de 1969 à 1993. j’y fis mes études d’art. Plus tard, j’appris que cette région était familière à l’écrivain.
J’ai découvert IMPRESSIONS D’AFRIQUE dans l’ombre caniculaire d’un studio du vieux Nice, entre 1988 et 1993, en plusieurs récidives solitaires. Je garde le souvenir d’une folle machinerie créatrice, d’une mise en mots pour œuvres insolites, entre le mouvement et l’inertie. Le corps humain, objet et sujet, s’y reproduit et s’y déploie en séquences obscures, sensuelles dans un mécanisme d’ordre sexuel. Je garde le souvenir d’une excitation dans laquelle s’entremêle des finesses alanguies, des détails de dentelles, des vues grossissantes. Idéal lecture pour mon regard de myope. Cette exploration minutieuse de choses en mouvement perpétuel, intemporelles, qui se meuvent dans des constructions visuelles et déjà virtuelles, aucune œuvre d’art ne semblait pouvoir la rendre. Car c’est là, la révélation entraperçue, par moi à l’époque : celle d’une révolution créatrice infinie, sans limite de temps, d’espace, de durée ni de médium, sans un quelconque élément de restriction hors ces mots et cette pensée. Pensée qui de liens en sauts, associait le tout possible pour coucher ces visions de réalités hétéroclite, sur la page. Ampleur d’absolu pour un texte qui résonne à l’infini d’un bric à braque qui ouvre toutes les clefs du possible.
Plus tard, à Paris, je lus entièrement, LA DOUBLURE. Je garde en mémoire des jeux de personnages, des effets de théâtre déplacés, de costume, de mouvements au ralenti, d’érotisme décomposé, de miroirs et de reflets dans un embrouillamini de rôles. La véritable histoire aurait été découpée, déliée, ne serait plus qu’un livre d’images. Photos ou scènes repassées sous différents angles de vue.
COMMENT J’AI ECRIT CERTAINS DE MES LIVRES fut un délice, un bonheur d’écrivaine novice. Débutante et captive, mains et esprit liés, retenue d’un lieu à un autre, chaque jour de la semaine. C’est de Paris à Créteil, en 1997 que, matin et soir, en bus, je découvris l’aspect technique de son écriture. Régal et plaisir pour un transport hors du commun. Ballotée par la conduite de chauffeurs agacés par la circulation, je découvrais que quelques unes de mes « trouvailles » s’apparentaient à des techniques similaires. De cette œuvre impressionnante se dégageait une complicité d’auteur.
Le texte de NOUVELLES IMPRESSIONS D’AFRIQUE demeura pour moi hermétique, inabordable, en dépit d’efforts renouvelés.
Je lus récemment MON AME ou MEMOIRE DE VICTOR HUGO. Message compris. Lisible, était le texte, mais, cru, dans le sens de trop clair, et osé, dans le sens d’incorrect comme le fruit d’une erreur. Comment avait-on pu tomber, proche d’une œuvre si grandiose, dans cette petitesse mégalomaniaque. L’orgueil de cette grande jeunesse, confinait à la bêtise. La flagrance existentielle ne connaissait point de limite. Elle propulsa l’auteur dans un au-delà du narcissisme. De toute évidence, sans envergure personnelle, aucune œuvre bonne ou mauvaise, n’avait la moindre chance d’être entendue. Il fallait au talent, ajouter la prétention et la croyance en soi. Gommer le doute. Dominer la situation. Manipuler son monde. En deux mots contemporains : se vendre ! Stratégie insupportable, indigne ou dégradante. Je nageais depuis trois décennies dans cette aura dépassée d’un « Art pur et dur », une vocation aux rêveries ridicules.
Quand je relus LA VUE en Juin 2007, je reconnus ma première expérience. Je revécus la saveur de ces paysages extatiques. Je replongeais dans cet état de grâce visionnaire. Je me délectais de cette plage de présent éternel. Reconstitution savante et vivante d’instants morts et ressuscités. Collage de vues enchâssées dans le panoramique de l’imaginaire d’où revenaient, intactes la brise de mer, le sel sur les lèvres, l’éclaboussure de mer, la pesanteur d’un rayon solaire et les cris des enfants jouant sur le sable dans des couleurs criardes au tracé net. Je goutais le poids du manque qui chavirait depuis des mois en moi. Celui d’une plage chaude, arrêtée sous le soleil, et d’un temps plein, fini, enrobé dans son ultime état. D’un temps qui ne passe plus mais qui dure infiniment, s’éternise, se colle aux yeux vides, et fige le paysage à vie. Une plage d’absolu comme sont ces plages, ces déserts intérieurs remplis de foule anonyme. Un néant qui sommeille dans le vague d’une couleur bleue, d’une ligne d’horizon, d’un reflet brisé de nuage. Une plage, un temps, revenu. Une plage libre et dévolue à cet Eden de l’art et de la vie. Je décidais en un clin d’œil, ce soir-là, que mon intervention au cimetière, porterait sur ce texte, sur ces vues de plage. Je cochais les pages 1,10, 23, 24, 25, 26 et 27.
PREMICES DE JUIN 2007 Daniel Daligand, Guy Jacqmin, et Severo mentionnèrent l’évènement du 14 Juillet. Tout trois y assistaient régulièrement. Je leur parlais de cette lointaine première en 1990 quand Reinhardt, dit R.U.S. ou Sevol m’avait entraînée au Père Lachaise. J’y avais rencontré Gianni Broi. Cette année, dix sept ans plus tard... J’attendis des informations sur le lieu de rendez-vous. Le matin même du 14, à onze heures, Guy me donna quelques informations. C’était à 14 heures. En deux heures je chargeais ma caméra vidéo, et cherchais accessoires et vêtements qui allaient servir à l’action.
INTRODUCTION AU SOUVENIR Vérification du 15 Juillet 2007. Cela n’était pas en 1990. Dans l’Agenda de 1991 au jour du 14 juillet est inscrit: « Action mail Art. On y va tous les deux » avec Reinhardt, amant artiste néoïste de l’époque. « R fait du super 8. Il fait un froid de chien. 1 italien, 1 espagnol, 1 a… (illisible).. arménien, … allemand, 1 belge et Jacques Massa, tristounet. Halte café Burger… 2h30 puis suite action au Père Lachaise. Moi + R. + Massa . Ras le bol. At home à pied. Duo tranquilo. TV. R dort. » Il ne semble pas que cette première expérience m’est ravie. Tout était gris. Il devait faire froid. Je n’étais pas heureuse du tout. Trois jours, avant je sortais d’une clinique pour une cœlioscopie. Histoire de femme sans enfant. Je me rappelle avoir porté une robe rétro des années soixante avec fleurs de couleur orange et turquoise sur fond blanc. Nous avions fait un truc avec Reinhardt, une action d’enroulement- déroulement avec un cordon de toile qui nous avaient liés et déliés tous les deux. Bof. L’initiative venait de R. Je me laissais faire à cette époque.
RELEVES PREPARATOIRES Des Extraits de « La Vue » de Raymond Roussel seront prélevé et surligné en jaune sur photocopies pour intervention. Page 0 « …vue enchâssée au fond du porte-plume Contre lequel mon œil bien ouvert est collé…boule de verre…photographie…l’œil…s’approche…un cil par moment s’accroche. e tiens le porte-plume assez horizontal...Avec trois doigts par son armature...Mon œil gauche fermé complètement… » Page 10 « Mon regard pénètre Dans la boule de verre,…une plage de sable…le temps est beau ; On voit même un chapeau de paille qui s’envole,» Page 23 « Sur la plage, un enfant est prés du bord ; il lance Avec rapidité, presque avec violence, Un mauvais bout de bois,… …justement le morceau de bois quitte A l’instant même la main droite de l’enfant ;…possède un mouvement giratoire Page 24 …La main droite de l’enfant s’ouvre En laissant échapper consciemment, exprès, Le bâton libéré, mais encore trop prés … Le pouce s’arrondit en ligne recourbée, Immobile et raidi, car il se lève fort Page 25 « Sa jambe droite, raide, est en avant et porte Le poids entier de son corps entraîné qui suit Le bout de bois, pendant qu’il s’évade et s’enfuit, …physionomie De l’enfant encourage et ranime le chien …derrière son dos Page 26 « …à creuser Dans le sable ; Une fillette a de beaux cheveux ; une mèche, Que le vent a choisie et sépare,… Horizontale,… D’une façon gênante, auprès de la figure, Ce chatouillement … …elle est épaisse. …se baisse ; …l’effort de ses deux bras insuffisant, Ayant un col marin dont un coin est roulé, Se levant et faisant presque un tour sur lui-même,»
ACTIONS LEGERES Selon les images mentales crées par le texte (surligné), des actions ont été pré visualisés pour l’intervention. Les gestes suivant ont été réellement visibles: -Trouver une plage de sable miniature au sol et jouer (au bord de la mer). - Mettre un chapeau et sortir les accessoires utilisés. -Tenir un crayon avec image de plage à l’horizontal, l’œil gauche fermé, l’autre œil rapproché et balancer le stylo. - Faire s’envoler le chapeau de la tête (en le lançant). - Faire jouer une mèche de cheveux devant les yeux (avec la main). - Soulever le coin du col marin (avec la main). - Lancer un bâton en grimaçant pour faire activer le chien invisible, calée sur la jambe droite.
OBJETS DE LA DECISION L’HABILLAGE : Un vêtement pratique et neutre : un pantalon « corsaire » aux genoux, un T-shirt noir, manches courtes et mes sandales de plage en plastique noir, spéciales baignade, indémodables depuis trente ans. LES ACCESSOIRES : Une chemise courte et bouffante année « 80 » à manches longues, en coton blanc rayé bleu avec un grand col marin. Un chapeau de corde, écru et bleu pliable. Un sac de plage en toile cirée « marine » blanc rayé bleu avec écusson et ancre marine, forme année « 60 ». LES OBJETS : Les cinq feuilles, du texte photocopié de R.R. surligné de jaune et agrafé. Les quatre stylobilles en plastique miraculeusement retrouvés dans la foulée, dont deux blancs et deux noirs, représentant chacun une plage. Chaque stylo était enchâssé d’une « VUE », d’un « souvenir » de...
LES VUES : Blanc : Le CHATEAU DE CHENONCEAU, enjambant le Cher, laisse circuler un carrosse qui se déplace, en légère apesanteur, quand le stylo est incliné vers la droite ou vers la gauche. Blanc : La BAIE DE SAINT MALO, en Bretagne. A droite une berrichonne tenant deux chiens glisse sur la plage, franchit la mer et se place derrière, un voilier, à gauche. Il a les voiles repliées et ne parcourt que deux à trois millimètres soit quelques mètres de mer pour s’arrêter aussitôt. Noir : COTE D’AZUR. La scène pourrait se passer à Cannes ou à St Raphael…Des noms de villes étaient énumérées à l’envers de la vue. Cela ne peut être ni Nice, ni Villefranche, ni Eze, ni Beaulieu, ni Antibes parce ces plages sont de galets et non de sable. La vue comprend une plage dorée, un port, la montagne où s’adosse maisons et immeubles. Une vedette conduite par un homme en maillot de bain, tire deux skieurs nautiques, un homme et une femme blonde. Les cheveux de la bonde tiré en queue de cheval dans le vent. Le bateau peut parcourir tout l’espace de droite à gauche. Dans l’autre sens, l’action ne fonctionne pas. Le bateau va à reculons. Noir. NICE. Je reconnais parfaitement Nice avec son phare à la pointe de la digue du port et la baie des Anges au loin. L’arc dans la roche de la montagne marque le monument aux morts. La plage est gris bleu avec ses galets qui restent invisibles. Un grand paquebot en premier plan longe la baie. Il peut, entrer ou sortir dans un sens ou dans un autre. Trois stylos à l’envers de leur vue portent avec le nom de leur ville, un écusson et ou une image pittoresque, un corsaire, deux figures provençales… Seul la « Cote d’azur » mentionnent des villes possibles de la région.
LA RETROUVAILLE Daniel et Catherine Daligand, Guy Jacqmin et Jee Sun, Bruno Guarrigues, Benoit Pingeot sont à l’entrée du cimetière. Gianni Broi a la délicatesse de me reconnaître. Des amis italiens sourient. Un plan des lieux et un programme sont donnés. L’après-midi est clémente, estivale.
PROMENADE DES OMBRES Il y eut les marches sous les frondaisons vertes et le crissement des cailloux clairs sur le fond sombre. Il y eut des marbres brillants et la chute d’étoiles de carton. Il y eut un dépliement de feuilles, une descente d’escalier miniature par des triscèles translucides. Il y eut une bataille de masques aux gants verts. Il y eut la coupe cinglée des feuilles d’un l’arbre. Il y eut le balayage des mots lissés aux couleurs de l’Europe. Il y eut la coupe d’or dans la main d’une femme, la bouteille laissée pleine au raz des lèvres, le masque de sang. Il y eut le lierre des murs et des pierres. Il y eut des lettres jetées au feu par deux visages d’acier trempé. Il y eut un bonbon dans le plastique des amours synthétiques. Il y eut la marche, les tombes, les noms, les chants d’oiseaux, les petites conversations, une plume, une fleur, et le chemin, à suivre, qui devant, qui derrière, sans se perdre. Et enfin, le plein feu du ciel, le noir brulant de la chaleur du marbre. Plus d’ombre mais la plage caniculaire...
LE DECLIC SOLAIRE Ai baissé la tête vers le sol. Ai vu mes pieds, leurs ombres tranchaient la terre. Le cou est lourd. File, fuie le temps. L’action, qui dit, de faire, de ne pas faire, de dire, de ne pas dire... Le soleil lourd sur ma tête. Les cailloux aigus, pointus, visibles. L’allée étroite, cinquante centimètres à peine. Fin de parcours. Il y a du sable chaud sous mes sandales. Le plastique brule mes pieds. Je vois des cailloux dorés, arrondis comme des galets, prés d’une dalle. Je m’arrête. Ai trouvé. C’est Là. Je tourne la tête. Je respire mal, j’ai chaud. Ce sera là sous ce soleil de plomb. Je cherche mon chapeau de paille. Ne pas perdre ce bout de sable, ce bord de plage… Au coin là-bas…
LA TOMBE DE SUZY Il y eut la rose timide, obsessionnelle. Les allées et retours du corps masculin qui désire. Les mains puis les lèvres de l’homme, sa bouche baisant le marbre blanc. Les pieds froids de la statue de pierre. 1930. Détourner les yeux de cette frigide lectrice. Regarder en arrière, refaire le chemin vers ma plage, mesurer du regard.
PLAGE EN VUE Ailleurs. Les entraîner, les faire regarder en arrière, avant la fin, avant la tombe de Raymond. Me suit un, puis deux, puis… La bonne place. Tombe noire. Le nom finit comme « couffin, coussin » doux à l’intérieur ou fin comme un cou … Croix allongée. Ne pas déranger. Poser mes lunettes. Ne plus voir autour. Voir dedans. Ma plage est prête. Les regards restent dans l’ombre. Seule au soleil. Juste temps de commencer. Je mets mon chapeau de soleil.
AVANT RAYMOND Le silence. Les feuilles et les mots distribués. Je tiens le stylo devant mes yeux et le penche. La plage tangue. Le temps s’est arrêté. Pause de vie.
L’ŒIL DE PIERRE L’action est terminée. Guy s’avance vers moi, me tend un caillou de caramel. C’est un œil de pierre trouvé à l’endroit où il s’est assis pendant l’action. Cadeau. Refuser. Non, cet « œil » je le garde précieusement.
LIVRE D’OR Action finale dans la grande allée. Deux silhouettes officient. Déploiement de feuilles d’or, de banderole avec photos officielles. C’est ici que je suis venue quinze ans plus tôt avec Sevol. Y avait-il plus d’arbres? La tombe de R.R. me semble claire dégagée. Il fait un soleil de feu. C’est bientôt fini. Une voiture de sécurité nous regarde avec un mauvais œil. Nous nous égrainons dans l’allée principale vers la sortie. Elisabeth Morcellet 13.11.07 |
Un hommage initié par Gianni Broi qui deviendra pour quelques artistes parisiens un rendez-vous au Père Lachaise. Personnellement je parcourus un espace de vingt années entre ma première et ma deuxième intervention. Voici quelques images de cette dernière action du 14 Juillet 2007. |
62B/ 63B/ photos de Daniel Daligand |
60B/ 61B/ Photos de Daniel Daligand |
64/ Ecrit notes action |